Dans les contextes de guerre, de déplacement forcé et de violence institutionnelle, la santé mentale devient un espace de lutte et de médiation. Ce n’est pas seulement une question médicale, c’est une question politique, sociale et profondément humaine.
Notre approche considère la santé mentale comme une passerelle entre l’expérience intime de la souffrance et les réalités collectives qui la provoquent ou l’amplifient. Elle est aussi un levier d’action dans des contextes où les droits fondamentaux sont bafoués.
La médiation dans le cadre humanitaire dépasse largement la simple résolution de conflits ou de différends. Elle ne se résume pas à « faire la paix » entre deux parties opposées. Dans les contextes d’exil, de guerre, de précarité et de marginalisation, elle devient un acte de reconnaissance, une pratique de traduction entre mondes disjoints, et un outil de réparation symbolique.
1. Médiation comme espace de traduction des expériences invisibles
Dans les parcours de migration forcée, les personnes déplacées se trouvent souvent confrontées à des institutions qui ne comprennent ni leur histoire, ni leur langage, ni leurs réactions psychiques. La médiation permet alors de faire le pont entre des subjectivités blessées et des systèmes souvent rigides. Il ne s’agit pas de négocier un compromis, mais d’interpréter l’indicible, de rendre intelligibles des souffrances que les cadres administratifs ou médicaux peinent à accueillir.
2. Médiation comme geste politique de reconnaissance
Lorsque des personnes sont réduites à des statuts (« demandeur », « bénéficiaire », « traumatisé »), la médiation permet de rétablir leur singularité. Elle redonne une place à la parole, à l’histoire, aux choix, aux silences aussi. Elle crée les conditions pour que la personne soit à nouveau sujet, et non objet d’intervention. C’est un acte de dignité partagée, qui refuse la déshumanisation.
3. Médiation comme soin relationnel
Dans les contextes de violence extrême ou de déplacement, les liens de confiance sont souvent détruits. La médiation contribue à restaurer une forme de sécurité relationnelle, condition préalable à tout travail de soin. Elle ne cherche pas à « résoudre un problème », mais à ouvrir un espace relationnel où les malentendus, les peurs, les méfiances peuvent être nommés sans danger.
4. Médiation comme transformation des environnements d’accueil
Au-delà de la personne accompagnée, la médiation humanitaire travaille avec les professionnel·le·s, les institutions, les équipes d’accueil. Elle vise à transformer les pratiques, à rendre les dispositifs plus sensibles à la complexité psychique, culturelle et sociale des personnes exilées. Elle agit ainsi comme levier structurel, pour éviter que les violences institutionnelles ne viennent réactiver des traumatismes antérieurs.
5. Médiation comme résistance à la logique de contrôle
Dans bien des contextes humanitaires, la relation d’aide est imbriquée dans des rapports de pouvoir : contrôle des flux migratoires, suspicion dans l’asile, tri des vulnérabilités. La médiation, dans cette perspective, n’est pas neutre. Elle peut être un outil de résistance, qui protège l’espace psychique des personnes contre les intrusions et les assignations. Elle rappelle que l’hospitalité ne se décrète pas, elle se construit dans la relation.
La souffrance psychique n’apparaît pas dans le vide. Elle est souvent liée à des violences structurelles : guerre, torture, discrimination, enfermement, précarité, errance, rejet administratif. Dans ce contexte, le soin ne peut pas être neutre. Il devient un acte de reconnaissance, un geste de réparation, une manière de rendre audible ce que les institutions taisent ou disqualifient.
En défendant l’accès aux soins psychiques pour les personnes déplacées, nous défendons aussi leur droit à être vues, écoutées, respectées. Le soin devient alors une forme de médiation entre la personne et les systèmes qui l’ont blessée, rejetée ou oubliée.
Nos interventions ne visent pas à adapter les personnes aux systèmes qui les oppriment. Elles cherchent au contraire à créer des espaces où elles peuvent retrouver du pouvoir d’agir, une narration propre, une dignité. Cela suppose d’écouter les récits, de respecter les silences, d’accepter la complexité des histoires de vie marquées par l’exil, le conflit, l’humiliation.
En ce sens, la santé mentale devient un langage intermédiaire. Elle peut faire entendre ce que les mots du droit, de l’administration ou de la politique ne savent pas dire. Elle agit comme médiation entre des mondes disjoints : celui du soin, celui de la survie, celui de la décision politique.
Sortir la santé mentale de l’ombre humanitaire
Dans de nombreuses interventions humanitaires, la santé mentale reste reléguée au second plan. Elle est souvent réduite à des protocoles standardisés, à une réponse de seconde intention, voire à une simple annexe des soins médicaux. Ce traitement marginal contribue à invisibiliser les effets psychiques durables des violences.
Nous plaidons pour que la santé mentale soit intégrée dès la conception des réponses humanitaires, avec des moyens suffisants, des professionnel·le·s formé·e·s, et une véritable attention portée à la subjectivité des personnes. Le soin psychique ne peut pas être externalisé ni réduit à un outil d’adaptation aux normes du pays d’accueil.
Une éthique de la relation
Nous croyons que chaque relation d’aide est une relation politique. Offrir un cadre d’écoute et de soin, c’est reconnaître la personne comme sujet, et non comme dossier, victime ou problème à résoudre. C’est refuser la logique de suspicion, d’urgence permanente ou de tri humanitaire.
Notre pratique repose sur une éthique relationnelle, interculturelle, décentrée. Elle cherche à faire émerger des formes de présence, de parole et de lien, même dans les contextes les plus précaires ou les plus hostiles.
Faire de la santé mentale un espace de résistance
En travaillant avec des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou déplacées, nous ne faisons pas que soigner : nous résistons à l’effacement. Nous refusons que la violence psychique soit normalisée. Nous affirmons que la santé mentale doit être protégée comme un droit, défendue comme un espace de justice, et pensée comme une médiation entre les blessures individuelles et les contextes collectifs qui les façonnent.
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